Philippe Guillemant

Ce qu'en disent les physiciens

Peut-on changer le passé ?

Le dogme de l'irréversibilité

Le dogme de l'irréversibilité

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LE DOGME DE L'IRRÉVERSIBILITÉ

L’un des plus grands mystères de la physique moderne repose sur le fait que ses équations fondamentales sont réversibles par rapport au temps.

Cela implique que tout ce qui est observable dans la nature devrait pouvoir a priori se produire à l’envers, ce serait alors une porte ouverte à la “magie”. Car nul n’a jamais observé un bol de café au lait se “démélanger” en séparant le lait du café, ni les gaz émis par une voiture surgir de l’environnement pour revenir à l’intérieur d’un tuyau d’échappement, ni les mille morceaux éparpillés d’un verre cassé se rejoindre pour reformer le verre intact, etc.

Pour expliquer l’absence d’observation de ce type de phénomène (mis à part dans la projection de vidéos à l’envers), l’explication communément donnée par les physiciens est largement admise. Elle a cependant l’inconvénient de rester un principe purement empirique: l’entropie d’un système isolé ne peut qu’augmenter mais jamais diminuer. Ce principe est néanmoins rationnel car si c’était le cas on pourrait produire de l’énergie gratuite et contredire en apparence la loi de conservation de l’énergie.

L’entropie étant la mesure du désordre d’un système, cela revient à postuler que les lois de la mécanique ne peuvent que produire du désordre, ceci devant être compris dans un sens global, car il n’est pas interdit que certains évènements ordonnateurs et donc improbables se produisent par hasard pourvu qu’ils restent rares.

Il est important de noter que ce postulat s’est lui-même auto-justifié par le fait que les équations de la mécanique – à la fois au niveau macroscopique de la physique statistique et au niveau microscopique de la physique quantique – ont été établies en partant de calculs de probabilité rendus obligatoires par une indétermination massive. Indétermination portant sur la nécessité de gérer un très grand nombre de trajectoires possibles (que cette indétermination soit réelle ou due à notre ignorance): le hasard est ainsi devenu un puissant allié des équations mathématiques de la physique.

Bien qu’il soit théoriquement légitime de remettre en question ce postulat qui conduit au principe de l’irréversibilité, cela aurait pour conséquence la remise en question de ces équations elles-mêmes. Or pour l’instant, aucune expérience de physique sérieuse n’a réellement permis de contredire leur justesse.

Une expérience de pensée décrite sous l’intitulé “Le démon de Maxwell” a cependant semé le doute pendant un siècle et demi à cause de la possibilité mise en évidence par elle de réduire anormalement l’entropie d’un système en utilisant de l’information.

Ci-dessous, un démon parvient à faire le vide dans le compartiment de gauche d’une enceinte de gaz en permettant aux molécules qui s’y trouvent de passer dans celui de droite et en fermant au contraire l’orifice à celles de ce dernier. La porte étant de masse négligeable il ne consomme pas d’énergie mais en crée pourtant par diminution de l’entropie. La solution qui a été proposée pour résoudre ce problème, largement admise mais toujours débattue, est de considérer que l’information est une grandeur physique liée à l’énergie.

Cette expérience de pensée a joué un rôle important dans l’acceptation du dogme de l’irréversibilité en physique, car cette solution proposée tardivement est longtemps restée combattue, jusqu’à une vérification expérimentale récente qui a confirmé le lien entre l’information et l’énergie (principe de Landauer).

L’explication qui emporte un consensus aujourd’hui et qui est donnée pour comprendre le “truc” utilisé par ce démon prestidigitateur, est de dire que l’observation qu’il est obligé de faire pour réaliser son tri moléculaire consomme de l’énergie, moyennant un mécanisme dans le détail duquel nous éviterons de rentrer ici.

En admettant cette explication, on peut alors se demander ce qui maintient la conservation dogmatique du principe de l’irréversibilité, puisque nous savons que tout système irréversible perd obligatoirement de l’énergie en chaleur et dispersion. Il suffit de redonner à ce système l’information liée à l’énergie qu’il a éparpillé et gaspillé pour qu’il accepte de fonctionner à l’envers. En pratique c’est impossible, mais en théorie c’est possible.

Nous allons maintenant étudier un autre aspect, cette fois réellement contradictoire, du dogme de l’irréversibilité.

Rappelons que plus un système est ordonné, plus son entropie est faible.

Un verre intact est ainsi beaucoup plus ordonné que l’ensemble de tous ses morceaux éparpillés, et un bol de café au lait est infiniment plus désordonné que lorsque le café n’est pas encore mélangé au lait.

Rappelons également que la loi d’entropie croissante associée à l’irréversibilité et à l’augmentation inéluctable du désordre est dérivée de calculs probabilistes. Ce sont ces calculs qui démontrent que l’entropie ne peut qu’augmenter dans l’univers global, alors même qu’ils introduisent dans leur modèle fondateur un “forçage” par le hasard de la direction suivie par les trajectoires qu’ils décrivent. Il s’ensuit que bien que leurs équations de base soient réversibles, les équations statistiques obtenues par un tel calcul deviennent irréversibles.

La meilleure preuve du fait que ces calculs sont invalides pour ce qui est de conclure à l’irréversibilité est que leurs équations de base étant réversibles, cette conclusion devrait être valable dans les deux sens du temps.

L’entropie devrait donc augmenter globalement dans les deux sens du temps, or ce n’est pas du tout ce que l’on observe.

En remontant très loin dans le passé jusqu’au Big Bang, on devrait observer un univers naissant extrèmement désordonné, or on constate exactement l’inverse, soit un univers beaucoup plus ordonné que celui prévu par les calculs.

Comment diable peut-on alors résoudre ce fameux problème de l’irreveribilité et se débarrasser ainsi d’un dogme qui ne devrait pas avoir sa place en physique, sans au moins trouver une justification autre que purement empirique ?

Voici la solution que je propose: Lorsque l’on renverse le temps pour prévoir le passé d’un système à partir de la connaissance de son présent, il convient de tenir compte de ses conditions “initiales” – ainsi devenues finales – qu’il serait tout à fait improbable d’atteindre naturellement et statistiquement.

Cette mystérieuse nécessité de tenir compte des conditions finales gène cependant beaucoup les physiciens, car la physique est – comme tout le reste de la science – fondée sur le postulat du déterminisme qui interdit l’usage de conditions finales.

La solution est pourtant là: pour résoudre les contradictions soulevées précédemment, on doit s’autoriser à forcer un système à évoluer à l’envers vers un état extrèmement improbable, en imposant purement et simplement de telles conditions, ce qui revient à lui redonner de l’information (initialement perdue en même temps que son énergie). C’est bien cette obligation de prise en compte de conditions finales très improbables qui a toujours dérangé en occultant aux yeux des physiciens l’explication la plus simple.

Si l’on s’en tient à des raisons pratiques, on peut tout à fait comprendre cette attitude, car les physiciens qui font des calculs prévisionnels n’ont pas du tout l’habitude de prendre en compte des conditions finales, a fortiori les plus improbables, lorsqu’ils cherchent à prévoir l’avenir d’un système dans le sens normal du temps. Pourtant, si l’on prend l’exemple de la météo, ce genre de stratégie pourrait bien devoir s’imposer un jour. Elle nécessite toutefois une évolution des outils mathématiques et surtout de calcul numérique qui n’a pas encore vu le jour bien qu’elle soit, j’en suis témoin, déjà à l’étude dans les laboratoires de mécanique des fluides.

Le refus de travailler avec des conditions finales pour prévoir l’avenir des systèmes, ou ce qui revient au même avec des conditions initiales pour en comprendre l’origine, aboutit à des paradoxes qui devraient pourtant conduire à les physiciens à accepter de le faire. On s’aperçoit en effet que le seul argument valable avancé par la physique pour expliquer la Flèche du Temps (i.e. l’irréversibilité apparente) ne réside finalement pas dans les équations mais dans l’imposition par la nature elle-même de conditions initiales exceptionnellement ordonnées de l’univers. Ceci confronte néanmoins au mystère du principe anthropique qui laisse à penser que l’univers aurait été parfaitement réglé dès le départ pour pemettre l’évolution de l’homme, ce qui ne fait que reporter à nouveau le problème.

Il n’en a pas fallu plus à certains physiciens pour envisager, toujours en vertu de la réversibilité des équations de la physique, la possibilité d’imposer à l’univers certaines conditions finales !

On ne voit pas en effet pourquoi l’on aurait le droit de défier la statistique dans le sens inverse du temps et continuer de s’interdire de le faire dans le sens normal. Encore faut-il tout d’abord combattre le dogme de l’irréversibilité interdisant de faire la même chose dans les deux sens du temps.

En 2006, les physiciens Nielsen et Ninomiya ont ainsi publié un article très intéressant qui démontre l’impossibilité de l’existence des processus irréversibles dans un certain type d’espace. Ce constat leur a plus tard ouvert la voie pour invoquer la possibilité d’une rétrocausalité macroscopique, c’est à dire d’une influence du futur sur le présent.

Peut-on cependant se satisfaire d’une explication qui consiste à dire que parmi tous les univers possibles, c’est à dire tous ceux qui peuvent être décrits par la physique, celui dans lequel nous vivons possède des conditions initiales excessivement improbables, voire les plus improbables possibles ? N’y aurait t-il pas une meilleure explication ?

Voici l’explication plus complète que nous proposons :

Nous ne vivons pas dans un univers qui possède un seul passé et un seul futur potentiels. Nous vivons dans un univers qui possède des passés et des futurs potentiels multiples. Dans le présent, un seul passé et un seul futur coexistent tout en étant susceptibles de changer (dans un autre présent) en prenant la forme d’un des autres potentiels possibles.

Et j’en viens à l’essentiel: les conditions initiales et finales d’un système sont déjà réalisées, raisons pour lequelles il convient de les prendre en compte toutes les deux.

D’après ce principe de base – de la théorie de la double causalité – nous devons ainsi nous résoudre à accepter que la mécanique soit insuffisante pour déterminer de quel passé nous provenons, tout autant que pour déterminer vers quel futur nous allons, car l’évolution des systèmes est indéterministe dans les deux sens du temps.

La solution au problème de l’irréversibilité se trouve ainsi dans l’acceptation de l’indéterminisme macroscopique. Face à cet indéterminisme, il est nécessaire de rajouter aux lois de la mécanique des conditions initiales ET des conditions finales qui lui sont compatibles. Ce processus de sélection de l’un des passés ou de l’un des futurs probables parmi tous les possibles n’est en effet pas décrit par la mécanique actuelle. irreversibilite

Cette explication peut se traduire par la figure ci-dessus où est illutrée la multiplicité des passés et des futurs. Le présent correspond à l’endroit de la figure où toutes les possibilités se rassemblent, donnant l’impression à cause du resserement des possibles qu’une seule évolution déterministe semble être à l’oeuvre.

En réalité dans le cas du passé, les lignes temporelles divergentes qui sont dessinées à gauche sur cette illustration ne devraient pas être les symétriques des lignes qui divergent à droite vers le futur, car le présent contient considérablement plus de traces du passé que de “traces” du futur, du moins a priori.

En conclusion, nous considérons qu’en acceptant un indéterminisme à l’oeuvre dans les deux sens du temps, la question de l’irréversibilité du temps devient une question caduque.

Il ne sert à rien de chercher à revenir en arrière par les calculs pour retrouver les conditions initiales uniques d’un système, puisque ce calcul est par essence impossible étant donné que ces conditions initiales sont par essence multiples.