Philippe Guillemant

Un univers d'informations

Des réalités parallèles

Un résumé en 20 minutes

Un univers d'informations

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UN UNIVERS D'INFORMATION

L’idée selon laquelle notre univers serait un espace-temps composé d’informations a été considérablement popularisée par un film de science fiction : Matrix. La réalité pourrait rejoindre la fiction puisqu’il s’agit là d’une idée qui reçoit de plus en plus d’appuis scientifiques.

Un exemple récent est celui de Roger Penrose qui, dans son introduction au livre “A computable Universe”, explore l’idée que l’évolution de l’univers pourrait être simulée jusque dans ses moindres détails par un gigantesque ordinateur. Lequel ne ferait que traiter de l’information: celle contenue dans l’espace-temps qui nous englobe.

Dans l’option la plus matérialiste d’une physique de l’information émergente, la mécanique de l’univers pourrait ainsi être ramenée au travail d’un processeur de l’espace-temps, ce dernier étant réduit à une banque de données dynamique.

La conscience serait ignorée en tant que sous-produit du traitement. Ce point de vue tend aujourd’hui à disparaître au profit d’une hypothèse intermédiaire, moins matérialiste mais toujours aussi déterministe. La conscience jouerait en effet un rôle important dans l’exécution du “programme” contenu dans le cerveau. Elle présiderait à l’orchestration des choix quantiques qui font entrer l’information à traiter au moment de la réduction (ou effondrement) quantique. Il s’agirait donc d’un rôle de coordination globale pour lequel l’intrication entre différentes parties du cerveau – étendu à l’ensemble du corps – serait déterminante.

Toutefois il ne s’agit là que d’une interprétation, qui consiste à assimiler le phénomène de la conscience à l’ensemble des effondrements quantiques qui joueraient un rôle dans le comportement de l’organisme. Ce phénomène pourrait rester automatique – si l’on considère que la mécanique quantique est entièrement déterministe – auquel cas la conscience resterait un sous-produit du cerveau.

Nous rappelons ici, d’une part, que l’interprétation scientifique dominante concernant le processus de réduction de la fonction d’onde en mécanique quantique est que ce processus n’est pas déterministe. D’autre part, il a été démontré que la coordination qui émerge du caractère non local de l’intrication est indépendante de l’espace et du temps; l’on peut à ce titre la considérer comme non matérielle. Rappelons d’ailleurs la conclusion du physicien Antoine Suarez qui a fait cette démonstration expérimentale:

<< Pour avoir une matière qui fonctionne de façon sensée, nous avons besoin d’une coordination qui n’est pas matérielle >>

Partant de cette interprétation, que nous considérons comme étant la plus rationnelle bien qu’elle ouvre à l’inconnu (l’immatériel), la conscience ne serait plus un sous-produit du cerveau mais elle mettrait au contraire en jeu une fonction essentielle de coordination des processus biologiques. Ce phénomène se produirait à partir d’informations nécessairement externes à l’espace-temps, que l’on peut légitimement au mieux et faute d’en savoir plus, considérer a priori comme faisant partie d’un sur-espace de libre arbitre. La conscience jouerait ainsi le rôle d’interface entre un monde quantique d’informations non manifestées, aux états encore superposés où tout reste possible, et notre monde physique d’informations manifestées, densifiées, “cristallisées” en une réalité observable unique.

Il s’agit cependant là d’un point de vue de physicien quantique spiritualiste, qui attribue à l’indéterminisme quantique la possibilité d’autoriser le libre arbitre, la conscience s’en faisant en quelque sorte le relais. Ce point de vue se heurte toutefois à des critiques selon lesquelles, compte tenu du phénomène de décohérence, les phénomènes quantiques ne sauraient produire de tels effets d’orchestration à l’échelle macroscopique des phénomènes biologiques. Il est en fait difficile en l’état actuel de nos connaissances de trouver des arguments en faveur de l’un ou l’autre point de vue. L’existence possible d’une coordination non matérielle n’implique pas qu’elle soit effective, c’est à dire qu’il en résulte une véritable orchestration immatérielle.

Nous allons développer ici un autre point de vue sur la question, fondé sur notre hypothèse de l’indéterminisme macroscopique (introduite dans “vers la physique de demain”) qui conduit à l’affirmation suivante:

Notre univers d’informations ne serait que partiellement configuré !

Nous ne nous plaçons plus ici dans le cadre de la mécanique quantique, où des états non configurés de particules existent bel et bien, mais dans le cadre de la mécanique classique et de l’hypothèse d’un manque d’informations à l’échelle d’objets macroscopiques (et non plus seulement de particules). Ceci a déjà été observé sur des molécules géantes de fullerènes avec lesquelles des physiciens ont réussi à produire des interférences en les faisant passer à travers des fentes de Young.

En partant de l’hypothèse que dans l’espace-temps, la quantité d’informations est par essence limitée, voire même nulle au moment de sa création, nous avons pu montrer par le calcul que l’univers aurait alors une tendance naturelle à perdre des informations. Cette inclination se déroulerait y compris à l’échelle macroscopique, par transition naturelle et progressive de l’état classique à l’état quantique lors des interactions dans des systèmes isolés. Il en découlerait l’augmentation automatique bien connue de l’entropie de l’univers.

Cette augmentation pouvant être compensée par une baisse de l’entropie générée par les êtres vivants (en tant qu’observateurs conscients de l’univers), le mécanisme de décohérence fait le reste pour apporter l’essentiel de l’information et compenser ainsi la perte.

Nous avons décrit cette thèse dans la publication suivante:

<< Characterizing the transition from classical to quantum as an irreversible loss of physical information >>

Il résulte parmi les conclusions de ce papier que le phénomène d’observation (consciente) pourrait introduire des informations physiques dans l’univers, mais pour le comprendre revenons tout d’abord sur l’origine du sens que nous donnons à l’information physique.

Le principal résultat scientifique qui crédibilise l’idée d’un univers composé entièrement d’informations physiques est la découverte, par paliers progressifs depuis la fameuse expérience de pensée du démon de Maxwell illustrée ci-dessous, de la nécessité de donner un statut de grandeur physique à l’information.

Cette idée originalement proposée par Szilard en 1929, a ensuite été soutenue de façon convaincante par Landauer en 1961. Elle ne fut que très récemment vérifiée pour la première fois d’une manière expérimentale en 2012. Le problème essentiel est que depuis la théorie de l’information de Shannon (1949), l’information a été définie comme une quantité fondamentalement subjective, car nécessairement liée à un porteur comme un être humain, auquel cas il s’agit d’information “connaissance” à distinguer de toute évidence de la réalité physique.

Ci-contre, un démon parvient à faire le vide dans le compartiment de gauche d’une enceinte de gaz, en permettant aux molécules qui s’y trouvent de passer dans celui de droite et en fermant au contraire l’orifice à celles de ce dernier. La porte étant de masse négligeable, il ne consomme pas d’énergie mais en crée pourtant par diminution de l’entropie. Ce paradoxe est résolu en considérant que l’observation des molécules nécessaire à leur tri consomme une énergie ainsi introduite dans le système, laquelle correspond à une augmentation de l’information, bit par bit.

Le solutionnement de ce paradoxe a entrainé de très nombreux débats et une littérature considérable; la question du sens physique de l’information restant énigmatique à cause de sa subjectivité potentielle.

Pour résoudre ce problème, nous avons adopté dans l’article précédent, une définition objective de l’information partant de notre hypothèse que la densité d’informations dans l’univers est nécessairement bornée.

Cette définition porte sur la quantité bien déterminée de l’information que l’univers conserve réellement sur un objet (positions, vitesses, masses, etc. de tous ses constituants), compte tenu du fait qu’une incertitude est affectée à chacun de ses constituants. La quantité d’informations correspondant à ses états totalement indéterminés est ainsi considérée comme nulle. Cette indétermination résultant du principe d’incertitude d’Heisenberg qui rend en quelque sorte l’univers discret, on parvient ainsi à toujours chiffrer l’information par une quantité finie exprimée en bits.

Notre définition de l’information, que nous avons restreinte à l’information de phase (positions et vitesses), est potentiellement généralisable à la description des caractéristiques classiques de tous les objets de l’univers. Y compris notre cerveau et nos sens perceptifs, permettant ainsi de remplacer en théorie l’espace-temps par une mémoire pouvant être traitée et transformée par un gigantesque calculateur.

Nous avons montré, en prenant le modèle le plus simple du billard,que chaque interaction d’un objet avec un autre – ici un choc élastique entre deux boules – engendre une perte d’informations qui ne peut être évitée que si le système n’est pas totalement isolé. Auquel cas il récupère de l’information par l’intermédiaire des objets qui n’en ont pas perdu, ce qui équivaut au mécanisme de décohérence. En situation isolée, notre système de billard finit au bout d’un nombre suffisant de chocs par perdre toute son information de phase. Il en découle que l’augmentation de l’entropie, équivalente à une perte de cette information, est associée à une transition progressive de l’état classique à l’état quantique.

Nous avons également mis en évidence un paradoxe que nous avons appelé le « démon du déterminisme ».

Même si l’espace est continu et que le billard peut, quelque soit la durée d’examen ou le nombre de chocs, ne jamais perdre assez d’informations pour devenir quantique, on peut se retrouver dans une situation où la quantité d’informations nécessaire pour décrire les conditions initiales devient supérieure à celle qui est nécessaire pour décrire toute la dynamique du billard pendant cette durée.

Ce qui veut dire que le modèle déterministe peut consommer plus d’informations initiales qu’il ne permet d’en calculer. On peut en déduire également que pour préserver un déterminisme absolu, l’information physique devrait être infinie dans des zones closes de l’espace. Or si nous considérons que l’information physique est réellement quantifiée par un quantum (= k ln(2) ) en relation avec l’entropie, cette conclusion apparaît comme inacceptable.

Ce paradoxe justifie à lui seul le fait de postuler que la densité d’information physique devrait être partout finie.

Un point remarquable est que le principe d’incertitude d’Heisenberg trouve alors une interprétation en conséquence immédiate de ce postulat. Ceci est un élément supplémentaire qui nous a conduit à proposer une transition « classique vers quantique » pour comprendre la perte d’informations. Il est alors intéressant de noter que cela suggère que la mécanique quantique pourrait être une extension naturelle de la mécanique classique pas du tout incompatible ni conflictuelle, dans la mesure où l’approche classique conduit naturellement, si l’on souhaite donner un sens physique objectif à l’information de phase à conclure à la nécessité que l’espace soit quantifié.

Ce point entraine donc un bouleversement du paradigme selon lequel la mécanique classique ne peut être que déterministe, qui n'est pas sans conséquences métaphysiques:

En conclusion, un système dispersif classique perd naturellement son information de phase lorsqu’il est isolé de toute possibilité de réduction quantique par décohérence ou observation directe.

Un état de phase pourrait alors devenir un état quantique – au moins partiellement – et retrouver à nouveau son information physique lorsqu’il interagit avec un environnement « informé » ou un appareil de mesure. Cependant, dans le cas où cette information est directement apportée par l’observation, d’après la mécanique quantique elle pourrait ne pas être déjà incluse dans notre univers classique d’informations physiques et c’est ce qui justifie le titre de cet article.

On peut légitimement s’interroger sur ce qu’est l’observation et son mécanisme, autant que sur la source d’information qui pourrait informer notre réalité classique à travers elle, mais ces questions font déjà partie du débat en mécanique quantique.

Donnons juste notre sentiment que notre réalité classique pourrait bien être immergée dans un monde quantique plus global où les notions d’espace, de temps et de causalité pourraient être bouleversées de fait.

Sans aller plus loin dans les spéculations, il reste important de remarquer que cette fonction d’interface donnée à l’observation – voire la conscience ? – pourrait remettre en question la seconde loi de la thermodynamique selon laquelle l’entropie de l’univers ne peut qu’augmenter.

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